Autrice d’une quinzaine de livres, Emilie de Turckheim passe dans la collection blanche chez Gallimard avec ce nouvel opus, Lunch-box. Autour d’un accident survenu devant une école primaire aux Etats-Unis, elle y explore un moment-phare de l’enfance : l'irruption brutale de la mort qui fait prendre conscience de la fragilité de la vie. Un récit sur la culpabilité au tempo enlevé où l’effroi n’empêche pas la poésie.
Parmi les éléments qui ont déclenché l'écriture de ce livre, il y a cet accident survenu alors que vous aviez 7 ans quand vous viviez aux Etats-Unis...
EdT : Je savais depuis que j'avais 20 ans que j'écrirais tôt ou tard un jour un un roman qui explorerait ce moment-phare de mon enfance : l'irruption brutale de la mort à l'âge où l'on sait à peine que la mort existe ; le grand vide qui s'ouvre sous les pieds et dans le cœur quand on réalise que la vie est d'une fragilité totale. Ressentez-vous aussi cette peur viscérale de tout parent de voir son enfant mourir?
EdT : Aussi loin que je souvienne, j'ai toujours voulu avoir des enfants. A 17 ans, je rêvais déjà d'être enceinte, et comme j'ai eu mon premier enfant à 26 ans, j'ai eu l'impression d'attendre une éternité avant de pouvoir sentir enfin le corps d'un nouveau-né contre ma peau ! Et pourtant, tout en ayant ce désir, j'ai toujours ressenti une peur "submergeante" que mon enfant puisse mourir. Je connais des gens qui ont traversé cette épreuve et je les trouve héroïques parce que j'ai le sentiment que moi, je serais incapable de surmonter ce malheur-là. Je me trompe peut-être, mais l'intuition que j'ai, c'est que la vie deviendrait littéralement une étrangère et une traitresse. Je ne pourrait plus "m'entendre" avec la vie.
Et c'est vrai que cet accident qui a eu lieu quand j'étais en CE1 a joué un rôle immense dans cette peur panique.
A travers le personnage de Sarah - la conductrice du Van qui va causer involontairement le drame - vous posez cette question lancinante et douloureuse : comment vivre avec cette tâche sur la conscience ?
EdT : C'était vraiment cette question qui m'intéressait le plus quand je me suis lancée dans l'écriture de Lunch Box. Ou plus exactement : pourquoi se sent-on coupable quand on a commis aucune faute ? Pourquoi est-ce que le simple fait d'avoir été un des rouages d'un accident de cette nature condamne Sarah au malheur et l'exclut progressivement de la société ? Pourquoi est-ce que tout le monde se détourne d'elle ? La mort d'un enfant crée un "trou d'obus" : une déflagration et un vide gigantesque autour de la famille de l'enfant, mais aussi autour de la personne "responsable" de l'accident. Quand un enfant meurt, il y a comme une condamnation à la solitude.
Crédit photo (c) Francesca Mantovani / Editions Gallimard
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