Fin d'année éprouvante? Nous avons tous besoin d'être serré dans les bras au propre comme au figuré, d'être consolé. Qu'il s'agisse de maladie du corps ou de souffrance mentale, la douleur est l'ennemi numéro 1. Anne-Dauphine Julliand a enquêté sur la consolation. Grand bien nous fasse !
J'ai rencontré physiquement Anne-Dauphine Julliand il y a un an et demi, lors de la parution de son premier roman Jules-César. Huit ans plus tôt, j’avais pris connaissance du récit qu’elle avait fait de la maladie de Thaïs, sa fille aînée atteinte d’une maladie génétique incurable, la leucodystrophie métachromatique, dans Deux petits pas sur le sable mouillé, paru en 2011. Ce fut un rendez-vous manqué. A l’époque, mon fils n’avait pas encore un an et je me souviens très bien avoir pris son livre entre les mains, en avoir lu la quatrième de couverture dans une librairie,
et l’avoir reposé en me disant : « Il n’est pas pour moi. Je ne peux pas lire cela en ce moment, je n’y arriverai pas. C’est trop dur. »
Qu’est-ce qui me paraissait trop dur ? Le fait que mon fils était encore si petit, et que je puisse m’imaginer le perdre ? Le fait que l’écriture d’Anne-Dauphine Julliand m’avait semblé si limpide, si dénuée de fioritures, qu’elle allait certainement me toucher d’autant plus facilement ? Le fait qu’une mère ouvre son cœur sur sa douleur à vif et nous dise : « Approchez, vous pouvez regarder à l’intérieur, ce n’est pas interdit, ce n’est pas du voyeurisme » ; le fait qu’un livre puisse me faire plonger directement dans cette souffrance, sans filtre ni filet auquel me raccrocher ? J’avoue, ce livre m’a fait peur. Je l’ai reposé, et j’ai attendu que le temps passe.
Quelques années plus tard, en préambule de notre rencontre, j’ai voulu finalement lire ce récit et j’ai accepté de laisser couler mes larmes dans un train, au vu et au su des autres voyageurs. Je n’avais pas honte et ma peur initiale a laissé place à une admiration sans borne pour cette femme. Cette femme qui a su trouver les mots pour décrire sa peine, son quotidien mais aussi et surtout l’amour qu’elle a donné et qu’elle a reçu de sa fille aînée Thaïs puis de sa benjamine Azylis, également malade. A quelques années d’écart, toutes les raisons qui m’étaient apparues pour ne pas lire son récit, sont devenues des arguments pour défendre ce livre.
" Réagissez, prenez votre destin en mains ! "
J’étais submergée, bien sûr, par une tristesse infinie devant le spectacle de cette famille meurtrie, révoltée aussi par cette fatalité chromosomique qui s’est abattue sur ces deux enfants innocentes. Cependant j’étais aussi profondément bouleversée par le courage de cette mère qui osait raconter l’impensable, sans en rajouter dans le pathos. La situation était déjà suffisamment tragique. La force du récit d’Anne-Dauphine Julliand est de raconter les faits avec une proximité qui pourrait faire penser à la présence d’une caméra.
Cependant qu’on ne s’y méprenne pas, car la beauté de son livre et sa qualité proviennent justement de tout ce qu’une caméra ne peut pas filmer. Elle dévoile les pensées les plus secrètes, elle recueille la petite voix qui lui intime de tenir, elle écoute le silence de ses filles muettes, elle traduit leurs sourires, leurs clins d’œil et leurs caresses.
Après le texte, vint la découverte de la personne. Anne-Dauphine Julliand est encore davantage que dans ses écrits, une personne avenante, charismatique et qui vous met à l’aise immédiatement. Mettez-la dans une pièce sombre, elle illuminera chaque recoin. Rassurez-vous ce n’est pas une sainte, elle ose se plaindre, elle ose dire non quand cela ne lui convient pas, mais elle a choisi la vie.
Quel est le rapport, me direz-vous, avec la littérature ?
S’il ne s’agissait que d’un témoignage, peut-être qu’il n’y aurait pas de rapport, … pourtant les mots soient déjà une forme de littérature. La littérature a une finalité esthétique, elle désigne aussi une prose fleuve, et les écrits d’un homme ou d’une femme de lettres. Après quatre livres, Anne-Dauphine Julliand est bel et bien en train de commettre une œuvre littéraire. Le besoin de s’exprimer sur un sujet qui la touche de près, la décision de raconter une expérience personnelle n’enlève rien à son désir de mettre des mots sur cette expérience, avec un style qui lui est propre, dans un ordre particulier et selon une mise en scène choisie.
Les années sont encore passées, et la voilà qui publie cette fois Consolation. Quel beau titre ! Sa peine et sa douleur sont toujours là, mais une porte s’est ouverte sur la vie. Anne-Dauphine Julliand répond d’une certaine façon à tous ses lecteurs qui voudraient prendre de ses nouvelles, qui s’intéressent à elle, en se demandant « Comment fait-elle pour tenir ? Pour avancer malgré tout ? »
Consolation n’est pas un récit autobiographique, mais un essai. Forte de ses interrogations et de son vécu, Anne-Dauphine Julliand a enquêté sur ce prodige qui, à défaut de guérir, permet de se sentir mieux après un drame.
" La consolation ? Elle permet de ressentir la paix "
Après avoir été si longtemps en guerre contre la maladie, - ce vocabulaire utilisé par les médecins eux-mêmes -, Anne-Dauphine Julliand est en paix avec elle-même et son histoire. Une fois de plus, ce livre pourrait faire peur à certains. Comment écouter l’indicible ? Puis comment entendre que malgré cet indicible, on peut rire et retrouver le goût de la futilité ? La douleur effraie ; mais constater que des gens touchés par la tragédie sont encore amoureux et veulent vivre malgré le malheur, désarçonne tout autant.
Dans Consolation, l’autrice raconte combien elle a souffert des réflexes de certains, qui par peur justement, se sont détournés d’elle, n’ont pas osé l’aborder, n’ont pas su lui parler tout simplement, et ont coupé les ponts comme si elle avait commis une faute. Elle est allée à la rencontre d’autres âmes blessées afin d’expliquer ce qui permet de réconforter une personne ayant tout perdu. Elle délivre un message d’espoir, martelant qu’il n’y a pas de personne inconsolable. Il existe des moments où l’on n’a pas envie d’être consolés, des moments où toute tentative de consolation est vouée à l’échec.
Heureusement ce moment s’échappe et laisse la place à des besoins de consolation. Être consolé, c’est être touché dans tous les sens du terme, être physiquement pris dans les bras, et être enveloppé par la bienveillance de l’autre.
Enfin, Anne-Dauphine Julliand nous apprend que la consolation est une partition qui se joue à deux. Il faut savoir donner et savoir recevoir. Cela prend du temps, et demande parfois de la persévérance.
La consolation est une partition qui se joue à deux
Ses livres m’auront appris que ma peur inaugurale de vouloir me confronter à la douleur d’autrui, afin de me préserver moi-même de cette douleur, n’avait pas lieu d’être. Ne pensez pas que vous allez vous torturer en lisant Consolation. Ce livre est une lecture positive, une lecture qui soigne.
C’est une rencontre avec une personnalité solaire, qui cherche et qui trouve.
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