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Ci-gît l’amer de Cynthia Fleury

Dernière mise à jour : 4 mars 2021

Deuxième chronique sur la thématique de la consolation. La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury nous apprend à guérir du ressentiment et à échapper au sentiment victimaire.



J’aimerais vous recommander vivement l’essai de la philosophe politique Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer. Sa double casquette de chercheuse et de clinicienne est précieuse car elle n’enferme pas l’autrice dans un parti-pris uniquement philosophique.

Dès le départ, Cynthia Fleury pose un axiome, puisé au contact de ses deux activités : selon elle l’homme peut. C’est un choix moral. A ses yeux, le patient est agent de sa propre vie, il est capable d’affronter le réel et de sortir du déni.


Le titre de son livre nous plonge directement dans une dialectique entre trois homonymes : la mer qui peut désigner une étendue d’eau, les océans ; la mère celle qui donne la vie, et le goût amer, à ne pas confondre avec l’amertume. L’amer est une saveur que l’on peut apprendre à apprécier, c’est la saveur de la sagesse, car le sucré est plus facile à aimer.

Si vous pensez à la mer, synonyme d’océan, vous y associez peut-être l’idée de prendre le large, de larguer les amarres. Le lien entre ressentiment et maternité sonne évidemment plus freudien. Larguer les amarres, c’est couper le cordon ombilical, s’émanciper d’une tutelle, accepter de se séparer et de grandir pour devenir adulte.


Ne pas s’essentialiser comme victime

Dans une première partie, Cynthia Fleury analyse et décrit les mécanismes du ressentiment. La philosophe s’intéresse à ce qu’il y a de sombre, à la fois en nous et dans la société. La rumination, nous dit-elle, est encouragée par le système économique néolibéral. La perte de l’estime de soi, la baisse du narcissisme, le sentiment d’être remplaçable, cohabite avec une frustration permanente encouragée et voulue par nos sociétés de consommation.


Dans une deuxième partie, Cynthia Fleury analyse ce ressentiment psychique comme étant l’une des principales sources du fascisme. Attention car si la société ne corrige pas les mécanismes qui conduisent les populations à se vivre comme des victimes permanentes, le fascisme reviendra ! C’est que l’on appelle la posture victimaire : elle consiste à se construire sur cet unique postulat, devenant une justification qui nous empêche d’avancer. Se sentir victime ne doit pas devenir un levier de régulation sociale ou personnel. Selon la philosophe, il ne faut pas s’essentialiser comme victime. Il y a donc nécessité d’une prise de conscience et d’une volonté politique de ne pas créer les conditions de cette victimisation.


Dans un troisième volet intitulé la mer au sens de l’océan, la philosophe ébauche des solutions afin de ne pas nous laisser engluer dans le négatif. Le monde est ouvert à l’homme.

C’est la raison pour laquelle je vous invite vraiment à essayer de rentrer dans son essai. Même si parfois il peut paraître rude et complexe. A défaut, écoutez Cynthia Fleury – vous pourrez facilement trouver des replays d’émissions dans lesquelles elle a été invitée - car sa parole est extrêmement claire et éclairante, précise et nourrissante.


"Comment voulons-nous définir notre humanisme ?"

C’est là que j’avais envie de la mettre en parallèle avec l’essai d’Anne-Dauphine Julliand, dont je vous ai parlé la semaine dernière, car là où Consolation se préoccupe davantage de la sphère privée, l’essai de Cynthia Fleury ausculte la sphère politique à la recherche du bien commun. Elle s’interroge sur ce qui guide l’engagement en politique.


D’un point de vue clinique cette fois, la psychanalyste montre la corrélation qui existe entre ressentiment, rumination et dépression. Ce qui m’a frappée en lisant la prose d’Anne-Dauphine Julliand, c’est de constater que la dépression ne l’effleure pas, alors qu’on aurait pu s’y attendre. Malgré la mort de ses deux filles, le ressentiment ne l’habite pas. Cynthia Fleury explique parfaitement en quoi le ressentiment enferme. C’est un phénomène de repli qui s’accompagne soit d’une attitude défensive, soit agressive. La peur est omniprésente et dans le cas d’une attitude agressive, le sujet passe de victime à bourreau. C’est la naissance du fascisme.


Quelles sont les solutions ?

C’est là que les bonnes nouvelles commencent car elles sont à la portée de tous. Continuer à vous étonner ! Continuez à vous émouvoir, à être curieux ! Si elle ne fait pas une profession de foi, Cynthia Fleury cite néanmoins le mot espérance.


Autre piste qui réunit les deux essais : l’écriture ! Et oui, l’écriture est une sublimation donc vos sentiments négatifs n’appartiennent plus au domaine du ressentiment ! Vive les journaux intimes. Ecrivez vos colères, vos peines, vos peurs ! Cynthia Fleury prend l’exemple d’Aimé Césaire qui va chercher la douleur et la flétrissure qu’il réussit à incarner. De cette façon, il s’en libère.


Ecrivez vos colères, vos peines, vos peurs !

Freud l’avait déjà dit : « La culture c’est la sublimation des instincts. »

Enfin, pour guérir du ressentiment et trouver la paix, il faut apprendre à apprécier le goût amer. Finalement, si tout cela n’était qu’une question de cuisine et de papilles ! Alors à vos fourneaux ! Vive la gastronomie. Le bonheur est dans l’assiette !


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